Arrêt maladie et messagerie professionnelle : ce que dit le droit du travail.

Lorsqu’un salarié est en arrêt maladie, son contrat de travail est suspendu. Cette suspension a des effets juridiques importants : le salarié est dispensé d’exécuter ses obligations professionnelles, et l’employeur n’a plus à lui verser de rémunération (sauf dispositions conventionnelles ou maintien de salaire via la sécurité sociale ou la prévoyance). Toutefois, cette suspension ne signifie pas que le salarié perd l’ensemble de ses droits. Il conserve son statut, sa protection juridique, et reste un membre de l’entreprise.

Dans ce contexte, une question revient fréquemment en entreprise : un employeur peut-il couper unilatéralement l’accès à la messagerie professionnelle, à l’intranet ou aux outils numériques d’un salarié placé en arrêt de travail ? Cette pratique, souvent motivée par des considérations techniques ou organisationnelles, est pourtant risquée sur le plan juridique. Elle peut, dans certains cas, être considérée comme une atteinte aux droits du salarié, voire comme un harcèlement moral.

Suspension du contrat de travail : une limitation partielle des obligations

Un arrêt maladie suspend les obligations principales du salarié et de l’employeur : le salarié n’a plus à travailler et l’employeur n’a plus à payer le salaire, sauf maintien prévu. Mais cette suspension est temporaire, et n’interrompt pas le lien de subordination ni la relation contractuelle. Le salarié continue à appartenir juridiquement à l’entreprise.

Cela implique que certains droits fondamentaux doivent être préservés pendant cette période. Il s’agit notamment :

  • Du droit à la dignité,
  • Du droit à l’information,
  • Du droit à la loyauté contractuelle,
  • Du droit à la défense en cas de contentieux ou de procédure disciplinaire.

Couper sans motif valable l’accès à la messagerie professionnelle, par exemple, peut être perçu comme une mesure vexatoire ou une tentative d’isolement du salarié. Or, la jurisprudence sanctionne très sévèrement ce type de comportement.

Ce que dit la jurisprudence sur la coupure des accès numériques

La Cour d’appel de Chambéry, dans un arrêt rendu le 7 septembre 2023 (RG n°22/00559), a condamné un employeur qui avait suspendu, sans motif sérieux, l’accès à la messagerie professionnelle d’un salarié en arrêt maladie.

Dans cette affaire, l’entreprise avait mis en place une coupure automatique des accès informatiques lors de tout arrêt de travail. Cependant, le salarié avait demandé, en pleine procédure, à ce que ses accès soient temporairement réactivés afin de préparer sa défense. L’employeur a opposé un refus sans justifications objectives.

La Cour a jugé que ce refus contribuait à l’isolement du salarié, l’empêchait d’assurer pleinement sa défense, et participait à un processus de harcèlement moral. L’entreprise a été condamnée au versement de dommages et intérêts pour le préjudice subi.

Cet arrêt illustre parfaitement le principe de proportionnalité : même si la coupure automatique des accès peut être légitime dans certains cas, le refus de rétablir ces accès lorsqu’ils sont nécessaires à l’exercice d’un droit fondamental constitue une faute.

Dans quels cas l’employeur peut-il suspendre l’accès aux outils numériques ?

L’employeur ne peut suspendre l’accès aux outils numériques que sous certaines conditions strictes. Voici les critères retenus par les juridictions :

  1. Justification objective et sérieuse : la coupure doit répondre à un impératif de sécurité informatique, de confidentialité des données ou de continuité d’exploitation, et non à une volonté d’écarter le salarié.
  2. Mesure proportionnée : il doit y avoir un équilibre entre l’intérêt de l’entreprise et les droits du salarié.
  3. Traitement équitable : la mesure ne doit pas être ciblée à l’encontre d’un salarié en particulier, sauf circonstances spécifiques.
  4. Information préalable du salarié : idéalement, la procédure doit être prévue dans une charte informatique, un règlement intérieur ou une note de service applicable à tous.

Dans tous les cas, une coupure qui vise uniquement à éloigner un salarié de la vie de l’entreprise ou à l’empêcher d’accéder à des informations nécessaires à sa défense ou à sa vie professionnelle est illégale.

Les risques juridiques encourus par l’employeur

Une coupure injustifiée de l’accès aux outils numériques professionnels peut engager la responsabilité de l’employeur sur plusieurs fondements juridiques.

  • Harcèlement moral (article L. 1152-1 du Code du travail) : lorsqu’il est démontré que la mesure contribue à l’isolement du salarié ou nuit à sa santé mentale ou à sa dignité.
  • Violation de l’obligation de sécurité (article L. 4121-1 du Code du travail) : l’employeur doit assurer la sécurité physique et mentale de ses salariés, même en arrêt maladie.
  • Atteinte au droit à la défense : dans le cadre d’une procédure disciplinaire ou de licenciement, le salarié doit pouvoir préparer sa défense avec les moyens nécessaires.
  • Entrave au maintien du lien contractuel : empêcher un salarié d’accéder aux informations de l’entreprise peut être considéré comme une mise à l’écart illégitime.

Le salarié concerné peut engager une action prud’homale pour demander la condamnation de l’employeur à lui verser des dommages et intérêts. Dans certains cas, il peut également solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur, ce qui produit les effets d’un licenciement abusif.

Recommandations pratiques pour prévenir les litiges

Pour éviter tout risque juridique, il est conseillé aux employeurs d’adopter des règles claires et transparentes en matière de gestion des accès professionnels en cas d’absence.

Côté employeur :

  • Prévoir une charte informatique mentionnant expressément les cas de suspension d’accès.
  • Appliquer la même règle à tous les salariés placés en arrêt, sans discrimination.
  • S’assurer que la mesure soit strictement nécessaire, documentée et temporaire.
  • Informer le salarié concerné des motifs de la coupure et de ses droits.

Côté salarié :

  • Documenter toute coupure ou suppression d’accès (captures d’écran, mails, etc.).
  • Demander par écrit la réactivation des accès si elle est nécessaire à sa défense ou à un échange professionnel.
  • Se faire accompagner par un avocat en droit du travail pour faire valoir ses droits en cas de contentieux.

Conclusion

Être en arrêt maladie ne signifie pas être écarté de l’entreprise ni perdre ses droits fondamentaux. Le contrat de travail est suspendu, mais pas rompu. Toute mesure prise par l’employeur pendant cette période doit être nécessaire, proportionnée et justifiée.

Couper l’accès à la messagerie professionnelle ou aux outils numériques, sans raison valable, peut constituer une atteinte au droit à la défense, un isolement injustifié, voire un élément caractérisant un harcèlement moral. Les juridictions du travail se montrent de plus en plus attentives à ces pratiques, en particulier lorsqu’elles visent à mettre à l’écart un salarié affaibli ou en situation de vulnérabilité.

Que vous soyez employeur soucieux de sécuriser vos procédures ou salarié confronté à une mesure injustifiée, il est essentiel d’agir avec rigueur et discernement.

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