La rupture conventionnelle est devenue, en quelques années, l’outil le plus utilisé pour rompre un contrat à durée indéterminée. Appréciée pour sa simplicité apparente, elle est souvent perçue comme une alternative « pacifiée » au licenciement.

Mais en réalité, la rupture conventionnelle peut être un piège pour le salarié, notamment lorsqu’elle intervient dans un contexte de réorganisation, de retrait de responsabilités, ou lorsque le salarié bénéficie d’éléments de rémunération différée tels que des actions gratuites (RSU), des bonus annuels, ou encore des avantages liés à un statut cadre senior.

Dans ces situations, chiffrer l’ensemble des droits qui pourraient être perdus ou négociables devient une étape incontournable.

I. Pourquoi est-il risqué de signer une rupture sans chiffrage préalable

1. La perte du préavis et de ses accessoires

Contrairement à un licenciement, la rupture conventionnelle ne donne pas lieu à l’exécution ni au paiement du préavis. Or, dans de nombreuses conventions collectives, le préavis peut aller jusqu’à six mois pour les cadres âgés de plus de 50 ans.

Le préavis, accompagné des congés payés y afférents, représente souvent des dizaines de milliers d’euros. Ne pas l’exiger, c’est accepter de renoncer à une somme significative.

2. L’indemnité spécifique n’est qu’un début

L’indemnité de rupture conventionnelle, bien qu’obligatoire, ne remplace ni l’indemnité de licenciement conventionnelle majorée, ni les dommages-intérêts qui pourraient être obtenus en cas de contentieux.

Signer un accord sans analyse préalable revient souvent à accepter une indemnité minimale, sans rapport avec la perte réelle subie.

II. Étude de cas – Madame I. : six mois de préavis et un reclassement évité par l’entreprise

Cadre dirigeante dans une entreprise du secteur de la métallurgie, Madame I. s’est vu proposer une rupture conventionnelle après la suppression non officielle de son poste. Une réorganisation interne avait clairement exclu son périmètre de responsabilités, sans information ni consultation du CSE, et sans proposition de reclassement réaliste.

Lors de notre analyse, il est apparu que cette situation répondait exactement à la définition du licenciement économique individuel, ce qui aurait entraîné pour l’employeur les obligations suivantes :

  • Proposition d’un congé de reclassement (entreprise > 1000 salariés)
  • Préavis de six mois en application de la convention collective
  • Indemnité conventionnelle de licenciement majorée
  • Priorité de réembauche et accompagnement à la reconversion

L’évaluation financière réalisée a permis d’identifier :

  • + de 40 000 € de préavis et congés payés associés
  • + de 25 000 € d’indemnité conventionnelle de licenciement brute
  • Entre 25 000 € et 75 000 € de dommages-intérêts potentiels pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
  • Une perte d’opportunité liée à l’absence de congé de reclassement (accompagnement, formation, maintien de salaire)

💡 Résultat : une rupture signée sans accompagnement lui aurait coûté plus de 100 000 € de droits.

III. BSPCE, BSA, RSU, stock-options, bonus différés : les grands oubliés des ruptures conventionnelles

Dans les groupes internationaux, les start-ups ou les entreprises technologiques, il est courant que la rémunération inclue des éléments différés ou conditionnels, tels que :

  • RSU (Restricted Stock Units) : actions gratuites soumises à une période de vesting
  • BSPCE ou BSA : bons attribués notamment dans les start-ups
  • Stock-options
  • Bonus variables proratisés ou annuels
  • Avantages en nature liés à la fonction (voiture, logement, protection santé haut de gamme)

Ces éléments sont très souvent ignorés dans les propositions de rupture conventionnelle, alors qu’ils constituent une part importante de la rémunération réelle du salarié.

En pratique :
• La rupture conventionnelle interrompt la condition de présence pour le vesting des actions
• Elle n’oblige pas l’employeur à racheter ou maintenir les droits acquis
• Elle ne permet pas d’activer les clauses de good leaver parfois présentes dans les plans d’actionnariat

Sans négociation spécifique, le salarié perd purement et simplement ces avantages.
Un salarié d’une entreprise comme Amazon ou Salesforce peut ainsi perdre, en une rupture non accompagnée, l’équivalent de plusieurs mois – voire années – de salaire en RSU.

IV. Les autres effets méconnus : carence France Travail, non-concurrence, reclassement

1. La carence France Travail : une bombe à retardement

L’indemnité spécifique de rupture conventionnelle peut entraîner une carence ARE de plusieurs mois. Cette carence est distincte du délai de carence classique (7 jours), car elle dépend de l’indemnité supra-légale perçue.

Une indemnité de 40 000 € peut entraîner jusqu’à 150 jours de carence France Travail, soit 5 mois à puiser dans les sommes attribuées au-delà de l’indemnité légale prévue par le code du travail.

2. Clauses de non-concurrence non levées

En l’absence d’exécution du préavis, certaines entreprises oublient de lever la clause de non-concurrence. Résultat : le salarié part sans compensation (puisqu’il n’est pas empêché de travailler), mais reste juridiquement empêché de rejoindre un concurrent.

C’est un point souvent négligé, alors qu’il peut freiner toute transition professionnelle.

3. Perte du bénéfice du reclassement et du CSP

En cas de suppression de poste, la rupture conventionnelle fait perdre au salarié l’accès au CSP ou au congé de reclassement, pourtant obligatoires dans certaines configurations (licenciement économique dans une entreprise de plus de 1000 salariés, notamment).

Ces dispositifs garantissent pourtant :
• Une allocation spécifique plus favorable que l’ARE
• Un accompagnement à la reconversion
• Un maintien temporaire de rémunération

V. Construire une stratégie de sortie avant toute négociation

Un avocat en droit du travail ne se contente pas de relire un formulaire de rupture. Il vous aide à :

  1. Analyser la nature réelle du départ (licenciement déguisé, discrimination, harcèlement, inaptitude…)
  2. Évaluer l’ensemble des postes à intégrer dans la négociation (indemnités, préavis, droits différés, titres…)
  3. Chiffrer les pertes en cas d’acceptation sans compensation
  4. Structurer une négociation ou une transaction sécurisée, intégrant clauses de renonciation, clause de non-concurrence, exercice des BSA, BSPCE, etc.

Ce travail se fait souvent en amont de toute discussion avec l’employeur. Il permet au salarié de poser un cadre, de tenir un discours construit, et d’identifier ce qui doit être exigé, ajusté, ou abandonné.

Conclusion

La rupture conventionnelle est un outil utile. Mais comme tout outil, elle ne fonctionne correctement que si elle est utilisée avec méthode et stratégie.

Tout salarié disposant d’une ancienneté significative, d’un poste à responsabilité ou d’un plan de rémunération complexe doit impérativement faire chiffrer ses droits avant d’envisager une signature.

C’est la condition pour transformer une séparation subie en une opportunité maîtrisée, négociée, et juridiquement blindée.

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Lexique des acronymes

  • RSU : Restricted Stock Units – Actions gratuites soumises à conditions de présence
  • BSPCE : Bons de Souscription de Parts de Créateur d’Entreprise – Mécanisme d’intéressement spécifique aux start-ups
  • BSA : Bons de Souscription d’Actions – Droit d’acheter des actions à un prix fixé à l’avance
  • ARE : Aide au Retour à l’Emploi – Allocation chômage versée par France Travail
  • CSP : Contrat de Sécurisation Professionnelle – Dispositif d’accompagnement renforcé en cas de licenciement économique
  • CSE : Comité Social et Économique – Instance représentative du personnel dans l’entreprise

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